Aux Sources de Medjugorje — Chapitre II
Daria Klanac, Aux Sources de Medjugorje, Éditions Sciences et Culture, Montréal, 2014, 3e éd. (1re éd. 1998, ISBN 2-89092-240-5), chapitre ii, pages 25 à 44.
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Le premier jour, dans le hameau de Bijakovići, au pied de la colline Crnca, parmi les enfants et les jeunes règne la bonne humeur de la fête. C’est la Saint-Jean. L’école est terminée. À cet endroit, il n’y a pas de lieu spécifique de loisirs; mais à l’extérieur du village, l’espace est grand et largement ouvert, propice aux rencontres amicales, aux échanges ou à des jeux. Certains jeunes voient leur temps libre réduit par les travaux domestiques ou les obligations familiales, les travaux des champs et la garde des moutons.
Ce jour-là, Ivanka et Mirjana décident de faire une promenade en attendant Vicka qui doit les rejoindre à son retour de Mostar où elle s’est rendue, le matin, pour son cours de récupération. Et la rencontre entre le ciel et la terre a lieu à l’endroit appelé Podbrdo, ce qui signifie « au pied de la colline ». Voici, de la bouche même des premiers témoins, peu après l’événement, la description de ce premier jour.
Mirjana, 27 juin 1981, en après-midi :
P. Jozo : Va, dis-moi; va, raconte ! Comment as-tu vécu tout cela réellement, voyons, le premier soir ? Tu étais la première, la toute première à voir au village ?
Mirjana : Non, nous deux, nous marchions, et c’est elle [Ivanka] qui a vu la première. D’abord, je n’ai pas cru. J’ai dit : « Mais quelle Vierge ? » Alors nous sommes revenues. Lorsque je suis revenue, comme cela, je l’ai vue et alors j’en ai été convaincue… Je l’ai aperçue à la colline, elle tenait comme un enfant qu’elle couvrait. Il y avait comme un châle qu’elle rejetait comme ceci.
Ivan, 28 juin 1981, le soir :
— Le premier jour, au moment où elles venaient de la voir, elles se promenaient et allaient chercher les moutons. Moi et un camarade [Ivan Ivanković] sommes allés acheter des pommes au marché. Je lui avais demandé de m’accompagner. Nous allions leur demander quelque chose quand elles nous ont appelés à venir […] Les filles. Et une lumière leur est apparue là-haut, sur la colline. Je l’ai aperçue moi aussi […] De là où elles étaient.
Marija, 28 juin 1981, le matin :
— Non, non, je n’ai rien vu la première fois […] Elles me l’ont raconté […] J’écoutais mais je ne pouvais pas du tout les croire.
[p. 27]En ce premier jour régnent l’incertitude, l’embarras, la peur. Dans la courte nuit d’été qui a suivi, privé de sommeil, chacun à sa manière essaie de deviner l’origine de cette mystérieuse apparition.
L’événement d’hier est omniprésent dans la pensée des gens. Le village est sous le coup de l’émotion de la nouvelle de l’apparition. Reviendra-t-elle aujourd’hui cette belle silhouette lumineuse ? L’attente est grande, fébrile. Tous souhaitent qu’elle revienne. Ils vont se rendre au même endroit, à la même heure, pour voir. Et effectivement, elle viendra. Voici ce qu’en dit Mirjana.
Mirjana, 27 juin 1981, en après-midi :
— Le deuxième jour, nous y sommes allées, Ivanka, Vicka et moi. Nous l’avons aperçue sur la colline, au même endroit. Vicka est retournée au village pour appeler [les autres] afin qu’ils voient. Elle [Gospa] a ouvert les bras vers moi et Ivanka. Alors une femme a vu comment elle a ouvert les bras… « Courez, elle vous appelle », dit-elle. Nous sommes montées en cinq minutes jusqu’en haut pour arriver devant elle, vraiment…
Jakov, lui, décrit comment il est entré en scène avec Marija car, pour elle comme pour lui, c’était leur premier jour d’apparition.
Jakov, 27 juin 1981, en avant-midi :
P. Viktor Kosir : Oui, oui, c’est bon. Mais toi, qui t’a amené là-haut ?
Jakov : Mais ce sont celles-ci [les voyantes] qui l’ont vue les premières.
P. Viktor Kosir : Mais comment ont-elles fait ? Elles t’en ont parlé et tu les as suivies, n’est-ce pas ?
Jakov : Mais non ! Elles l’ont… Elles disaient : « Nous allons voir si c’est Gospa… puis nous vous appellerons. » Et elles sont parties… l’une d’elles est revenue. Elle est ici celle qui est revenue, elle l’a dit.
P. Viktor Kosir : Laquelle est revenue ?
Jakov : Elle, Vicka.
P. Viktor Kosir : Mais où étais-tu alors ?
Jakov : J’étais avec celle-ci : Marija. J’étais chez elle.
[p. 28]P. Viktor Kosir : Que faisais-tu chez elle ?
Jakov : Nous étions là, assis. Vicka a dit : « Marija, Marija… » Et nous lui avons répondu : « Mais qu’est-ce qu’il y a ? » « Voilà Gospa ! » Alors nous sommes accourus. Dès que j’ai aperçu Gospa, nous avons monté tout de suite la côte.
Marija, 28 juin 1981, le matin :
— Ils étaient chez moi, et ils se préparaient à partir pour voir, par hasard, si elle apparaîtrait de nouveau là-bas ! Et je voulais me rendre avec elles. Elles étaient chez moi. Je leur ai dit : « J’ai quelque chose à faire; allez-y, vous, et si cela arrive, que quelqu’un vienne me chercher »… Vicka dit : « Je vais le faire. » Et plus tard, j’avais presque oublié cela. Arrivant en courant, elle me dit : « Viens. » Je lui répondis : « Mais où, ma chère ? »… « Allons-y. » Puis je dis : « Où allons-nous ? » Elle dit : « Viens en haut ma chère. » Devant la maison, il y avait toute une rangée de chaussures; j’en ai pris une paire, la plus neuve. J’ai perdu une chaussure à la dernière maison du village… puis une autre à vingt ou vingt-cinq mètres plus loin; elle est restée là. Ils disaient : « La voilà !… ici. » - Mais je ne la voyais pas sur la colline. J’ai dit : « Allons là-haut ! » Et ils m’ont répondi : « Attendons encore un peu pour voir si elle va y rester ! » Et je suis allée seule. Elles m’ont suivie après. Et puis, là-haut nous sommes arrivées. Mais elle n’était pas là. De nouveau, je ne la voyais pas. Je me suis demandé : « Mais qu’est-ce que c’est ça ? » Je restais là, à cet endroit, puis elles sont arrivées, elles se sont agenouillées, puis elles ont fait le signe de la Croix. Moi aussi j’ai fait le signe de la Croix. Alors, je l’aperçois… et je m’agenouille.
Vicka a tenu la promesse d’aller chercher Marija dès qu’elle la verrait. Et c’est ce qu’elle a fait. Chez Marija se trouvait Jakov. Et il les a suivies en courant à la colline. Ce jour-là, 25 juin 1981, les six jeunes - Ivanka, Mirjana, Vicka, Ivan, Marija et Jakov - vont se trouver ensemble, à genoux, devant l’extraordinaire Dame. Elle confirmera par la suite ce qu’eux-mêmes pensaient et supposaient déjà, à savoir qu’elle s’appelait bel et bien la Bienheureuse Vierge Marie.
La nouvelle s’est répandue à la vitesse de l’éclair dans tous les hameaux de la paroisse de Medjugorje. Même plus loin aux alentours. Les gens ont envahi la colline. On arrive de partout et tout le monde s’entasse autour des voyants. C’est la cohue, la chaleur, l’émotion, l’étourdissement… Mirjana, Marija, Jakov et Ivanka nous racontent l’événement et l’atmosphère du troisième jour.
Mirjana, 27 juin 1981, en après-midi :
— Nous trois, nous y sommes allées. Les gens aussi étaient intéressés, mais nous les chassions pour pouvoir nous rendre, seulement nous trois, librement. Puis, par trois fois, nous avons vu le ciel s’éclairer. Et alors, j’ai regardé la colline et j’ai dit : « La voilà ! » C’était encore beaucoup plus loin. Nous tombions sur les roches, mais ça ne faisait rien. Nous courions là-haut. Lorsque nous sommes arrivées, nous nous sommes agenouillées. Il y avait vraiment beaucoup, beaucoup de monde. Ils se sont tous tassés autour de nous. Pendant qu’on était à genoux, il y en avait qui nous marchaient sur les jambes, d’autres mettaient des enfants en avant de nous… Tout cela… c’est vraiment à cause de tout cela que nous avons perdu conscience, et en plus des émotions…
Jakov, 27 juin 1981, en avant-midi :
De la bouche de Jakov, on apprend que Marija a eu une apparition seule, à part.
— Mais nous étions là-haut et Marija était redescendue plus bas. Elle se sentait attirée là-bas et tout à coup, quand elle s’est retournée, Gospa est apparue…
— […] Mais, mon Père, nous étions loin, en haut, et elle est apparue plus bas. Marija est arrivée près du chemin en bas et Gospa lui est apparue en disant : « Où sont les quatre autres ? J’ai à vous parler. » Et ensuite, elle nous a attendus environ cinq minutes, et puis elle est partie.
Marija, 28 juin 1981, le matin :
— La troisième fois [jour], elles m’ont dit : « Tu vas rester. » Le petit Jakov est venu avec moi, je l’ai pris par la main. Lorsque nous allions vers l’enclos, le Père Zrinko me disait : « Attends-moi, nous irons ensemble là-haut. » Le petit Jakov était aussi avec moi. Une lumière est apparue ! Je dis à Mate [un proche] : « Mate, voici tout à coup la lumière ! » Et j’ai demandé à Jakov s’il la voyait. « Je vois ! » Juste après la troisième lumière, sa figure est apparue et j’ai commencé à courir vers là-haut. Et alors, quand je suis arrivée en haut, cette forme a [p. 30]disparu. Et elles [les filles] étaient en bas à l’ancien endroit. Gospa leur avait dit : « à l’ancien endroit », là où elle leur était apparue. J’aurais peut-être dû aller plus bas mais c’était là-haut que quelque chose m’attirait. Les autres sont venues et lorsqu’elles sont arrivées, nous avons commencé à prier et elle est apparue… Son voile tombait jusqu’à terre; quand les gens marchaient dessus, elle disparaissait.
Ivanka, 28 juin 1981, le soir :
— Le troisième jour, Vicka a apporté de l’eau bénite : « Si tu es Gospa, reste. Si tu ne l’es pas, va-t’en. » Et Gospa est restée.
Jakov, 27 juin 1981, le matin :
— J’ai apporté aussi le goupillon. Nous l’avons aspergée en haut.
Marija, 30 juin 1981, le soir :
— Elle nous disait : « Réconciliez les gens… »
Le troisième jour, beaucoup d’événements se sont succédés. Gospa venait et partait à cause des gens qui se bousculaient autour des voyants. Les enfants ont, pour la première fois, aspergé l’apparition d’eau bénite pour voir sa réaction. L’apparition n’a pas fui l’eau bénite. Ils en ont déduit que c’était la Vierge. Puis on apprend que Marija, alors qu’elle se trouvait seule, a eu une apparition à part, au cours de laquelle elle a reçu un important message de paix et de réconciliation.
D’après les interrogatoires, on apprend que les enfants sont allés à Čitluk tôt le matin (voir l’entretiens avec Mirjana le 28 juin 1981 au matin). On les a amenés à l’urgence pour consultation, puis à la Mairie pour interrogatoire. On a des doutes sérieux sur leur santé mentale aussi bien que sur leurs bonnes intentions. Les jeunes affirment obstinément voir la Vierge. Pour la première fois, on mentionne le nom de Marinko. Il s’agit de Marinko Ivanković. Il deviendra le premier protecteur du groupe. Les enfants ont recours à lui, partageant les joies et les peines des premiers jours. Il les protège, les entoure d’attentions particulières avec un souci paternel. Ils écrivent ensemble le journal des événements.
[p. 31]En ce quatrième jour, les enfants affirment avoir vu, au cours d’une apparition, une grande croix grise au-dessus de la Vierge, comme le rapportent les cassettes des entrevues.
Mirjana, 28 juin 1981, le matin :
— […] Comme ça, nous sommes allées, nous trois séparément : moi, Vicka et Ivanka. Cependant, avec Marija, nous avions convenu de nous attendre sur la route, jusqu’à ce qu’elle la voie. Nous nous sommes entendues avec Marinko, vous savez, ce monsieur… Que celui qui voit le premier approche ! Nous avons grimpé la colline. Nous nous sommes arrêtées à l’endroit où elle nous a dit qu’elle reviendrait. Cependant, il y avait beaucoup de monde. Ils [les gens] se tenaient là, c’est pourquoi elle n’est pas appparue. Cependant, elle est apparue à Marija plus haut. Elle est apparue puis disparue tout de suite. Alors, nous avons couru là-haut et lorsque nous y sommes arrivées, elle est apparue tout de suite. Cependant, les gens se pressaient autour de nous et marchaient sur son voile qui était long, ainsi elle disparut plusieurs fois. Nous avons chanté des cantiques. Puis, elle est revenue de nouveau. En descendant, elle nous est apparue de nouveau, il y avait une croix près d’elle. Elle nous a appelées « mes anges ».
Ivanka, 30 juin 1981, le matin :
— Lorsque j’ai vu la croix, c’était le quatrième jour.
Vicka, 28 juin 1981, en avant-midi :
— Sa silhouette nous est apparue comme dans l’ombre avec une grande croix, mais rien sur la croix, grise comme sa robe.
Jakov, 28 juin 1981, dans la matinée :
— Alors une croix est apparue, grise comme sa robe.
Ivan, 28 juin 1981, dans la soirée :
— Hier, au retour à la maison, c’est mon oncle qui m’a ramené. J’avais des souliers du dimanche et, pour ne pas me tordre le pied, j’ai mis des espadrilles. À mi-chemin, je voulais retourner à la maison parce que j’avais des crampes. J’étais saisi par des crampes et je ne pouvais plus me tenir sur mes pieds. Elle est venue à ma rencontre et j’attendais le moment de l’approcher…
Vicka, 28 juin 1981, en avant-midi - raconte l’apparition d’Ivan :
— Soudainement, il sursauta et il sortit en disant à sa mère et à son père : « Je m’en vais, je veux la voir ! » Ils l’ont suivi quand il a quitté la maison. En arrivant sur le chemin, il leur a dit : « Voilà ! vous n’y pouvez rien, je la vois de nouveau. » Elle lui est apparue comme à nous.
[p. 32]Marija, 28 juin 1981, le matin :
— […] Auparavant, nous nous étions entendus ensemble que moi, Ivan et le petit Jakov irions là-haut. Jakov est venu avec moi mais Ivan est resté à Čitluk. Il est revenu plus tard, mais il n’est pas monté là-haut hier soir.
— En descendant les premières, moi et Ivanka avons aperçu la croix. Les autres aussi après ont aperçu Gospa et la croix au-dessus d’elle, la même que j’avais déjà vue [le troisième jour].
Ivanka, 28 juin 1981, en avant-midi :
— Moi, Vicka et Mirjana, nous nous tenions là; Marinko nous a guidées. Qu’est-ce qu’on demandait ? Ah ! oui ! On demandait de l’eau à mon frère. Et mon frère a dit : « Marija est là-haut. Elle a dit qu’elle a vu Gospa. Elle l’a seulement aperçue, puis elle est repartie. » Quand nous sommes arrivés, elle est revenue… Et puis, en descendant vers les maisons, je l’ai aperçue moi aussi, comme Marija lorsqu’elle a vu la grande croix. Alors, nous avons commencé à chanter. « Marie, Marie, comme tu es belle ! » Puis, elle nous a dit : « Mes anges, mes chers anges ! » Derrière elle, il y avait la croix; puis elle nous a dit : « Allez dans la paix de Dieu ! » Mais en haut, elle ne nous a pas dit du tout : « Allez dans la paix de Dieu ! »… au-dessus d’elle, il y avait la croix de la couleur de sa robe.
Au retour de Čitluk, tous les enfants, à l’exception d’Ivan, avaient eu le temps de monter à la colline. En descendant, après l’apparition, Mirjana, Ivanka, Vicka et Jakov soutiennent avoir vu la Vierge de nouveau avec la croix grise au-dessus d’elle, comme pour Marija, la veille, lors de l’apparition qu’elle avait eue seule. Ivan, de son côté, accompagné de son oncle, était rentré plus tard de Čitluk. Il n’avait pu se rendre à la colline. Il aura une apparition seul, à proximité de sa maison.
Ce jour s’est passé dans un calme relatif. Les enfants sont montés à la colline avant le temps, attendant dans la prière et le chant que la Vierge apparaisse. Le soir, au presbytère, le Père Jozo continue les interrogatoires. Voici un court récit de Mirjana.
[p. 33]Mirjana, 28 juin 1981, dans la soirée :
— En arrivant là-haut sur la colline, nous nous sommes assis; c’était encore trop tôt. Habituellement, elle arrive vers 18 h 30. Il nous restait encore environ vingt minutes. Nous nous sommes assis. Puis, cinq minutes avant qu’elle arrive, nous avons commencé à chanter et à prier, et alors elle est apparue.
Le cinquième jour fait l’effet d’une accalmie avant la tempête. Le lendemain, il en sera tout autrement.
À la Mairie de Čitluk, chef-lieu de la région, on se préoccupe de plus en plus des événements de Bijakovići. Aux yeux du régime communiste athée, le fait que des enfants affirment voir la Vierge est impensable et inacceptable. Toute manifestation religieuse est strictement interdite dans un lieu public. Et ici, soudainement, à partir de rien, une foule nombreuse se rassemble à la colline près du village et se bouscule autour de six jeunes. La tension monte. Ce matin-là, les enfants sont amenés à Čitluk, puis à Mostar, voir des spécialistes et des psychiatres. Ces gens-là pourraient peut-être, eux, saisir les causes, les raisons de cette visite impromptue dont parlent les jeunes. Ivanka et Mirjana nous donnent la version bouleversante des événements.
Ivanka, 30 juin 1981, le matin :
P. Jozo : […] Hier tu étais à Mostar, n’est-ce pas ?
Ivanka : Voilà ! Mate [un proche] est venu vers 6h00, pour un examen médical. Nous sommes partis d’ici en autobus à 6h30. Nous sommes restés à Čitluk, et à 9h00, nous sommes partis pour Mostar. Et là-bas, nous sommes arrivés dans un vieil hôpital, chez Dzudza; elle [femme médecin] nous disait des choses… Elle disait que si nous allions encore une fois là-haut [sur la colline], nous serions placés dans un hôpital spécial, et ils voulaient nous payer pour aller à la mer, afin de nous séparer… Je me suis dit : s’il n’y a pas de place, alors pourquoi nous garder à l’hôpital si nous sommes en santé… Elle [docteur Dzudza] nous a dit : « Je n’ai pas vu d’enfants plus intelligents. »
Mirjana, 30 juin 1981, le matin :
— Ah ! Si seulement vous aviez vu… [l’hôpital]. Si j’étais restée, ne fût-ce qu’une demi-heure de plus, je serais devenue folle. Des fous s’y promènent, crient et gémissent. Ah ! c’est terrible ! Là-bas, vraiment, je serais devenue folle, car il y en a de toutes les sortes. Et la [p. 34]morgue pue terriblement. … Et savez-vous quoi encore ? Lorsque nous étions là-bas, en attendant qu’on vienne nous chercher, ils ont commencé à se parler; quelques-unes, je pense que c’étaient des infirmières ou je ne sais pas… L’une d’elles m’a invitée à la suivre pour raconter cela à d’autres infirmières. C’était très touchant. Je suis entrée, elles s’étaient rassemblées autour de moi; il y en avait une cinquantaine, toutes des infirmières et des médecins… Pendant que je racontais, elles pleuraient toutes. Toutes vraiment ! Elles m’ont suppliée de rester mais le directeur est entré et j’ai dû m’en aller.
Les six premiers jours, les enfants, pressés de toutes parts, vivent dans la peur de toutes sortes de poursuites possibles. En même temps, ils sont remplis d’une joie profonde du fait de rencontrer la personne qui se nomme la Bienheureuse Vierge Marie. Le septième jour, elle viendra à leur secours d’une façon tout à fait inattendue.
Au soir du 30 juin 1981, au presbytère, tous les voyants, à l’exception d’Ivan, sont présents à l’interrogatoire. La situation est tendue. Les franciscains ne comprennent pas clairement ce qui se passe. Les gens sont dans l’embarras. Les voyants affirment voir la Vierge : c’est la seule chose dont ils sont certains. On les menace de prison et d’internement psychiatrique à Mostar. Ils ont peur, cela est manifeste dans leurs conversations. Malgré tout, ils conservent un bon moral et la bonne humeur. La Providence leur a préparé une sortie très intéressante à l’extérieur de Medjugorje. Au cœur de cette journée décisive et remplie d’imprévus pointe un dénouement temporaire.
Déjà tôt le matin du 30 juin 1981, un groupe impressionnant de policiers et divers fonctionnaires - municipaux, régionaux et fédéraux - ont envahi Bijakovići. Mica Ivanković, l’assistante sociale auprès de la Mairie de Čitluk, en était bien informée. Elle savait ce qui était en train de se préparer pour les voyants et leurs parents, surtout ceux dont les pères et les frères travaillent en Allemagne. Mica, dont la maison est « la plus proche de Gospa », c’est-à-dire de la colline, et Ljubica Vasilj Gluvić, employée au Conseil exécutif de la République, à Sarajevo, avaient comme tâche d’amener les enfants hors du village. Il était devenu impérieux de donner un avertissement [p. 35]sérieux à tous ces gens, aux franciscains, aux voyants, à leurs parents ainsi qu’au peuple en général, car cela ne pouvait plus continuer ainsi.
Les franciscains, depuis le début, font des efforts pour amener les enfants à l’église. Cela permettrait de disperser la foule des curieux qui afflue de toutes parts à la colline et fait trembler le gouvernement. L’événement devrait prendre une signification purement religieuse, et les apparitions, elles, devraient garder leur caractère privé. Cette solution, selon l’avis du Père Jozo, leur conviendrait mieux. La foule nombreuse inquiète tout le monde et n’est d’aucune utilité pour personne, ni pour les enfants, ni pour l’Église, ni pour les autorités. Les voyants ont d’ailleurs plusieurs fois exprimé le désir d’être tout à fait seuls avec la Vierge.
Ce jour-là, le Père Jozo Zovko, le curé, est particulièrement inlassable dans ses questions. Dès le début de la rencontre, il apprend par la voyante Mirjana que les apparitions devraient cesser bientôt.
Mirjana, 30 juin 1981, dans la soirée :
Mirjana : Je lui ai demandé combien de jours elle va rester avec nous. Combien de jours exactement elle restera avec nous. Elle a dit : « Trois jours ».
P. Jozo : Encore ?
Mirjana : Encore trois jours, cela signifie jusqu’à vendredi.
Dans ce court extrait de l’entretien se cachent le sens et l’énigme du dénouement de la crise. Si, en effet, c’est Gospa qui a prononcé ces deux mots « trois jours », elle a de ce fait manifesté un vrai souci maternel pour les enfants et les a sauvés à ce moment-là de la prison et de l’hôpital.
En annonçant ces « trois jours », la Vierge paraissait confirmer aux yeux des enfants la durée probable des apparitions qu’ils avaient évaluée. Ils se retrouvaient donc en accord de pensée et d’action avec la conclusion la plus concrète possible à l’égard des circonstances menaçantes du moment.
La question de la durée des apparitions s’imposait déjà depuis quelques jours.
Ivanka, Vicka et Jakov, le 29 juin 1981, à la colline des apparitions, avaient posé la question suivante à la Vierge : « Combien de jours vas-tu rester avec nous ? » Gospa avait répondu : « Autant que vous le voudrez. »
Au matin du 30 juin 1981, dans son entretien avec le Père Jozo, Vicka donne son opinion sur la durée des apparitions.
[p. 36]P. Jozo : … Quand penses-tu que cesseront ces apparitions ?
Vicka : Je pense que si nous cessions d’y aller… et qu’elle nous laissait un signe, elle cesserait sûrement [d’apparaître].
Mirjana aussi est préoccupée depuis quelques jours par la question de la durée.
Le cinquième jour, le 28 juin 1981, en avant-midi, le Père Jozo avait demandé à Mirjana :
P. Jozo : Et qu’en penses-tu, combien de temps va-t-elle encore apparaître ?
Mirjana : Justement, j’ai pensé lui demander combien de temps encore elle va apparaître.
Mirjana, 30 juin 1981, dans la matinée :
— Aujourd’hui je veux lui demander aussi combien de jours elle va rester avec nous. Qu’elle nous dise exactement combien de jours elle peut rester avec nous, car ce soir, c’est déjà le septième soir !
Dans le même entretien, il revient encore une fois à cette question.
P. Jozo : Qu’en penses-tu ? Combien de jours la verras-tu encore ?
Mirjana : Quelque chose me dit, encore deux ou trois jours. Quelque chose comme cela me le dit… J’y ai pensé justement. Je leur ai dit : quelque chose intérieurement me dit cela.
Les « trois jours » rappellent l’usage fréquent et souvent symbolique du chiffre 3 dans la Bible.
Marinko, qui suit les enfants pas à pas, est aussi d’avis que l’on dise aux gens que Gospa n’apparaîtra plus. Il est préoccupé par le sort des enfants et de la population. Ivanka consent, mais à la condition de le demander à la Vierge auparavant (Ivanka, 30 juin 1981, le matin).
Marinko, et avec lui l’entourage des voyants et les franciscains, pressés par les autorités politiques et dépassés par l’ampleur de l’événement, voudraient pouvoir échapper à la situation en tentant de la contourner. Les enfants, craintifs, voudraient même ne plus retourner à la colline, mais, l’heure venue, ils ne peuvent résister et y accourent. De telles contradictions nous rappellent l’attitude de Pierre à l’annonce par Jésus de sa mort (Lc 22, 33-34). Mais Jésus, connaissant [p. 37]toute la fragilité de la nature humaine, ne le laissera pas sans secours. Des expériences extérieures ne nous amènent-elles pas parfois à transformer nos attitudes intérieures pour permettre à la grâce d’ouvrir sur un dénouement heureux inespéré ?
À ce moment, la manifestation en un lieu public de la Vierge à la colline de Crnca échappe au contrôle policier le plus sévère.
Dans cet État de l’ex-Yougoslavie, dominé par une idéologie unilatérale, le pouvoir communiste dispose encore de toute la gamme des moyens d’intimidation par la force, la menace et la peur. L’appareil municipal, régional et fédéral est en branle. L’alerte a été donnée. Il faut à tout prix empêcher cette « action hostile » qui s’oppose aux « intérêts du peuple », protéger « les citoyens croyants » des « clercs nationalistes » et punir tous ceux qui y collaborent. C’est le genre de vocabulaire que la presse quotidienne a utilisé en 1981 pour menacer et faire peur aux gens.
De toute évidence, le rassemblement des foules à la colline pose à tous de grands problèmes. La Vierge, semble-t-il, est vigilante. Ses réponses sont courtes et remplies de sagesse.
Le 30 juin 1981 au soir, l’interrogatoire continue au presbytère. Une autre question surgit : la Vierge serait-elle fâchée si les voyants allaient à l’église au lieu d’aller à la colline ? Elle y consent. Elle va apparaître à l’église jusqu’au vendredi. Les franciscains sont enfin satisfaits, car le Ministère des Affaires Intérieures, par le biais de la Mairie, fait une forte pression sur eux. Cela va aussi calmer les parents à qui on demande, sous menace, de ne plus laisser les enfants aller à la colline. Les mères des enfants dont les maris travaillent en Allemagne sont particulièrement visées à cause des passeports. Le régime communiste de l’époque désire encore montrer son pouvoir absolu alors qu’il présente déjà des signes de sa chute inévitable. On est emprisonné pour des peccadilles, à plus forte raison pour cet événement étrange, inhabituel, hors du commun, qui se passe dans la paroisse de Medjugorje, et qui représente un danger certain pour le régime.
Dès le début de cet entretien, trois grandes difficultés sont écartées : la question de la durée des apparitions, l’endroit et le rassemblement des foules nombreuses à la colline. Les apparitions vont cesser dans « trois jours »; désormais, elles se produiront à l’église, ce qui empêchera les gens de se rassembler à la colline et attirera les bons croyants à l’église pour la prière.
Dans la suite de l’interrogatoire au presbytère, on apprend que les enfants n’ont pas eu l’apparition à l’endroit habituel, à Bijakovići, mais quelque part ailleurs. Comment cela ? Voici l’explication donnée par Mirjana. « Nous étions justement en train de manger lorsque [p. 38]Mica nous a dit que des inspecteurs et la milice allaient venir. Il serait mieux d’aller à un autre endroit pour voir si Gospa va nous apparaître… à un autre endroit. » Et Vicka le confirmera. La commission est venue de Čitluk. « Il y en avait pas mal, explique Vicka, … deux ou trois autos, le maire et puis la milice. »
Les enfants avaient l’intention de se cacher dans leur maison et de ne pas sortir à l’heure de l’apparition. Cependant, Mica leur a suggéré qu’il vaudrait mieux s’en aller pour éviter l’affrontement avec la police et pour vérifier si l’apparition aurait lieu à un autre endroit. Les enfants ont consenti. Les parents, connaissant Mica, une voisine et cousine, qui leur rend souvent visite, leur parle, passe tous les jours devant leur maison au retour du travail, acceptent alors cette solution.
Après l’aventure de l’après-midi et la promenade à travers les villages et petites villes de la région, les enfants vont ressentir, vers 18 heures, le besoin d’arrêter quelque part, car l’heure de l’apparition approche.
Dans la conversation avec le Père Zovko, Mica nous apprend tout l’avant-jeu et le jeu même dans lesquels, cet après-midi-là, les enfants ont été entraînés, sur le compte de la Mairie d’ailleurs, comme l’avoue si bien Ljubica, membre du Conseil de la République.
Sans aucune crainte, Mica donne ouvertement le compte rendu complet qui explique comment les enfants ont été amenés à l’extérieur du village. Elle parle aussi de ses propres motivations ainsi que des véritables intentions de la Mairie de Čitluk, sérieusement préoccupée, et non sans raison, de tout ce qui se passe dans la paroisse de Medjugorje.
Son récit, que je retranscris en entier, me semble un document unique qui met en relief cette époque d’un régime totalitaire que les gens étaient obligés de servir pour survivre. Le régime privait les gens de toute liberté individuelle, piétinait leurs valeurs personnelles, opprimait l’âme et le corps, transformant les gens en de simples marionnettes. En jouant avec les fils des vies humaines comme avec des pantins, ces hommes de pouvoir étaient incapables de pressentir la présence de l’Esprit de Dieu qui agissait dans le cœur des personnes. La Vierge est venue la mettre en lumière et enflammer les cœurs dans le peuple croate et le monde entier.
Récit de Mica, le 30 juin 1981 dans la soirées :
[p. 39]Mica : Voici. Je vais maintenant vous dire comment cela a commencé. Aujourd’hui, durant toute la journée, j’ai assisté à des réunions, étant donné que je suis engagée dans les travaux socio-politiques à la mairie, même si je ne suis pas membre du parti. Voilà. Malgré cela, durant toute la journée, j’avais des maux de tête, un terrible mal de tête. Et ils ont même commencé… Ils savent qui je suis et d’où je viens, et que je suis avec eux tous les jours. Ils commençaient donc…
P. Jozo : D’où viens-tu réellement ?
Mica : J’habite au pied de la colline. La première maison, la plus proche de Gospa. Je ne voulais rien raconter aux réunions jusqu’au moment où quelqu’un commença à me provoquer en disant qu’il allait emmener les enfants, surtout à l’hôpital psychiatrique. Je dis : Qu’est-ce qui vous prend ? Les enfants sont normaux, ils vont devenir fous là-bas ! Voilà, c’est comme ça. Je ne donnais que de courtes réponses. Plus tard, la secrétaire a appelé. J’ai même entendu dire qu’on me faisait des reproches, par exemple : « Il y a des fonctionnaires qui répandent des nouvelles… »
P. Jozo : La secrétaire, c’est Zdenka ? Quel est son nom ?
Mica : Non ! Le président du comité est Stjepan Milicevic.
P. Jozo : Qui est-elle ? Zora Miletic ?
Mica : Zora est la secrétaire. Ils me reprochaient n’importe quoi… Je l’ai senti à travers toute cette histoire. « Il y a soi-disant des employés qui occupent des fonctions socio-politiques et répandent certaines rumeurs. » Dans tout cela, moi, je me taisais. Plus tard, lorsqu’ils m’ont demandé de parler aux parents et aussi aux enfants, je leur ai dit : Je leur parle tous les jours, c’est vrai, tous les jours ! Hier, avec Vicka, combien de temps nous sommes restées assises ? Plus d’une heure chez moi, dans ma chambre, au retour de mon travail. Ils sont venus pour me demander sije voulais les accompagner pour parler aux parents. Pas de problème, je vais y aller ! D’ailleurs, je m’en vais chez moi, je vais les voir et leur parler. Et ils sont partis. Maintenant, ils devaient se séparer par groupes. Ante [Docteur Vujevic] ne voulait pas y aller et la doctoresse [Glamuzina] non plus. Ante disait : « Nous y sommes allés et nous avons fait ce qui était notre devoir. Avant tout sans tenir compte de ma conviction, que je croie à cela ou non, je ne veux pas me faire traiter d’athée comme ils m’ont traitée hier, là-haut. Je ne vais pas aller devant la foule. Ce que je pense est mon affaire. » La doctoresse [Glamuzina] a dit catégoriquement à la secrétaire, comme l’avait fait Ante au président du comité, qu’elle n’irait pas. Non pas qu’ils ne peuvent pas y aller, mais qu’ils ne le veulent pas. Nous sommes parties; Ljubica est venue me chercher. Nous sommes parties avec le président du syndicat et le président [p. 40]du comité exécutif. Ils ont insisté pour que nous y allions. Marinko, le président du comité exécutif, connaît la mère du jeune Ivan, car c’est une de ses tantes. Il a dit : « Je vais aller chez elle, ce sera plus facile pour lui. » L’autre, Tomo, cousin d’Ivanka, est allé chez elle déjà malgré que je lui aie dit de ne pas y aller, car il a traité Ivanka de sorcière. Je lui ai dit qu’il ne devrait pas y aller. Je te respecte en tant que président du syndicat, mais en tant que personne, ce serait mieux que tu ne te montres pas là-bas. J’ai dit que je vais m’occuper d’eux, je vais leur parler. Je veux dire par là qu’il n’était pas question d’emmener les enfants quelque part. Personne ne me l’a suggéré, personne ne me l’a dit. Je suis venue chez Zlata parce que j’ai l’habitude de passer chez elle, connaissant ce qu’elle vit ces jours-ci. C’est terrible !
P. Jozo : C’est la mère de Vicka ?
Mica : C’est la mère de Vicka. Cette femme est vraiment dans une dépression psychologique. C’est incroyable !
P. Jozo : Comment ne le serait-elle pas, ce n’est pas facile pour elle. Ce matin, je l’ai vue.
Mica : Tout d’abord, son mari est en Allemagne. Ils ont commencé à enquêter à son sujet. Hier, j’ai prévenu Vicka de certaines conséquences [retrait du passeport, par exemple]. Ceci dit entre nous. J’ai même caché aux miens quelques cassettes [les cassettes d’hymnes croates, ainsi que les blasons et écussons nationaux, qui sont interdits]. Vicka, où était-ce ? Je les ai écoutées au cours de l’année passée en Allemagne. Elles ont été enregistrées lorsque le Pape est allé… Où le Pape a-t-il été, Vicka, pour que vous ayez ces cassettes ?
P. Jozo : En Pologne.
Mica : Non, non ! Je ne sais pas où il était.
P. Jozo : Il est allé en Allemagne; il est allé en Pologne !
Mica : Je ne sais pas; elle a des cassettes.
P. Jozo : Oui, oui, c’est mieux.
Mica : Car ils ont rencontré aujourd’hui sur la route un homme que je connais et qui travaille pour la sûreté de l’État. Il est venu par ici à propos de la question de nos ouvriers à l’étranger [le contrôle a été fait chez Zlata, avec menace de retrait de passeport pour son mari qui travail en Allemagne]. On a appelé ce monsieur probablement pour lui confier le travail de vérification dans les maisons. [p. 41]Je suis donc arrivée chez Zlata. Dès qu’elle m’a vue, elle s’est mise à pleurer. Vicka dormait. Alors j’ai appelé Mirjana, je lui ai demandé de venir et nous l’avons réveillée. Mais Zlata m’a dit tout de suite qu’elles ont décidé de ne pas s’en aller. Je leur ai dit : « Mais qu’allez-vous faire alors ? » Mirjana m’a répondu : « Nous allons nous enfermer chez moi dans la chambre. » Je leur ai dit : « Les gens ne vous laisseront pas en paix, ils vont passer par ici et vous ne pourrez résister. » Tout à coup, j’ai eu une idée : « Que penseriez-vous d’aller quelque part ? » Elles m’ont dit : « Il n’y a pas de problème. »
P. Jozo : C’est très bien !
Mica : Allons-y. Alors, elles ont appelé Marija et avisé Jakov.
P. Jozo : Aviez-vous deux voitures ?
Mica : Une seule voiture. Personne ne nous a arrêtés; nous avons même salué la milice.
P. Jozo : La Stojadin est une voiture solide, ma chère.
Ljubica : On était sept.
Mica : Maintenant, je vais vous raconter quelque chose. Nous sommes parties. Le chef de la milice est passé. Il me connaît très très bien, il voulait me demander quelque chose. Mais à ce moment-là, c’était inopportun. Je lui ai dit : « Suis-nous, je vais t’expliquer. »
Elles [les voyantes] sont parties à pied pour que les gens ne s’en rendent pas compte. Nous les avons suivies en auto. Ceux qui étaient dans la voiture Golf [la police] ne voulaient pas nous laisser passer. Nous leur avons dit : « Laissez-nous passer, nous sommes pressés. » Ils ne savaient pas ce qui était en train de se passer à ce moment-là, mais le chef de milice, Zdravko, lui, le savait. Il dit : « Attends, Mica, un instant ! » J’ai répondu : Je ne peux pas attendre parce que les gens vont se rassembler autour d’eux. Ils se sont finalement retirés, Zdravko nous a suivies. Ils [les voyants] nous attendaient sur la route. Sa mère [la mère de Jakov] est venue, mais elle ne connaît pas celle-ci [Ljubica].
Ljubica : Elle [la mère de Jakov] a dit : « S’il arrive quelque chose aux enfants, j’ai retenu ton numéro d’immatriculation. J’ai bien retenu ton numéro. »
P. Jozo : Elle s’est adressée à toi ?
Mica : Je leur ai dit [aux voyants] de dire avec qui ils partaient. Les voyants ont dit que les parents étaient consentants parce qu’il s’agissait de moi. Sa mère [la mère de Jakov] a dit : « Mica, étant donné qu’il s’agit de toi, il n’y a pas de problème. » Je leur ai dit : « Ne vous préoccupez pas, c’est comme si vous étiez vous-mêmes avec eux. » Ils [les parents] n’auraient pas réagi de cette façon si une voiture de la milice ne nous avait pas suivies. Pourtant, je disais à Zdravko de passer.
[p. 42]Même si Mica donne un récit franc et détaillé de l’après-midi, elle ne dit pas clairement tout ce qui pouvait motiver sa manière d’agir. Cependant, en lisant entre les lignes, on arrive à le saisir. « Je leur en ai parlé [aux autorités], dit Mica, et je vous en donnerai les raisons après. » À la toute fin de l’entretien, Mica, saluant le Père Jozo au moment de sortir, lui en exposera les motifs.
Maintenant, c’est évident pour tous que la Vierge peut apparaître n’importe où. Les enfants seront éloignés de la colline, les apparitions publiques qui rassemblent les foules seront annulées, un possible « soulèvement du peuple » appréhendé sera définitivement écarté.
Il semble évident que, lors de cette journée mouvementée, Mica ait choisi, parmi plusieurs maux, le moindre et le moins traumatisant pour les enfants. D’ailleurs, ils exprimeront à Mica et à Ljubica toute leur gratitude, heureux d’avoir passé avec elles un bel après-midi. Cela a aidé en même temps les franciscains dans leur tentative de tout orienter vers l’église, comme le souhaitait justement le Père Jozo. La crise aboutit enfin à un dénouement imminent, et provisoire du moins. Tous y participent activement, chacun à sa façon, pour le bien commun.
Ce soir-là, les enfants restent longtemps en conversation avec le Père Jozo. Ils essaient de lui faire comprendre tous les imprévus de ce jour-là, l’un après l’autre. Et Mica termine la rencontre en concluant :
Mica : Cela signifie jusqu’à vendredi, ce qui veut dire que je puis partir tranquillement samedi. … Elle [Gospa] a arrangé cela pour moi. Peut-il y avoir un lien ? Je pars samedi; je pars pour l’Allemagne samedi. J’ai acheté mon billet depuis 15 jours. Il y a là quelque chose !
Du chuchotement entre le Père Jozo et Mica à la fin de la soirée, on finit par comprendre que le Père Jozo a promis à la Mairie de faire tout ce qui est possible pour apaiser la situation. L’intervention de Mica arrive à point malgré les risques que la travailleuse sociale prend sur elle. Elle appréhende les réactions des gens du village. Elle s’inquiète de ce qu’ils pourraient dire ou penser d’elle et elle l’exprime ouvertement au cours de la soirée.
Mica : Maintenant, je ne sais pas si j’en avais le droit. Au retour chez nous, je ne sais pas ce qui va m’arriver. Je ne sais pas moi-même comment me présenter devant les gens. Tout d’abord, ils vont me juger pour avoir emmené les enfants. Je crois qu’ils vont tous dire que j’ai été influencée par d’autres pour le faire. Personne ne m’a [p. 43]influencée. Ça vient de moi-même; en quelque sorte, je le voulais. Etant donné que j’ai étudié la psychologie à l’école, je voulais en effet observer le comportement des enfants à un autre endroit. Réellement, cela m’intéressait, car là-haut [sur la colline] j’étais toujours dans la foule. À chaque fois que j’y allais, je ne pouvais pas voir.
Grâce à son attrait pour la psychologie, sa situation de travail à Čitluk, son ingéniosité, Mica a épargné le pire aux enfants. Aussitôt après, elle et Ljubica vont s’en aller, chacune dans leur direction, en pensant peut-être que c’était la fin. Mais ce n’était que le commencement. Le rôle qu’elles ont joué dans la chronologie des événements était, j’en suis fermement convaincue, dans le plan de Dieu. C’est ce qui ressort clairement dans tout ce que nous avons présenté.
Grâce aux deux mots de Gospa : « trois jours », la première grande crise s’est dénouée, exempte de conséquences graves. La Vierge a cependant tenu la parole donnée aux enfants qu’elle resterait avec eux « tant qu’ils le voudraient », c’est-à-dire tant qu’ils répondraient librement à son appel. Elle les a consolés en leur disant qu’ils passeraient, malgré toutes les difficultés, au travers des épreuves qui durent toujours.
→ Voir aussi l’annexe IV de Comprendre Medjugorje : La Vierge continue-t-elle d’apparaître après le 10e jour ?