Dans la tête de mon fils autiste
Daria Klanac, Dans la tête de mon fils autiste : Trente ans de quête pour un diagnostic, Éditions La Semaine, Montréal, 2017, (ISBN 978-2-89703-392-7), pages 15 à 20.
En 1985, à mon ancienne école Saint-Clément,
les élèves m'ont levé et m'ont mis dans une poubelle.
***
En 1987, au Centre récréatif de Ville-Mont-Royal,
j'ai eu du trouble avec un groupe de jeunes
qui se sont moqués de moi.
***
Une fois à l'école Paul-Gérin-Lajoie,
des camarades m'ont poussé vers les escaliers.
— Nick
Nick est un enfant désiré. De ce fait, il devait jouir de l'accueil inconditionnel de ses parents et avoir la possibilité de naître libre et de grandir pleinement.
Après avoir eu deux beaux enfants intelligents et en santé, le dernier-né était reçu dans la joie et la certitude que la descendance serait belle. Nous avions, Pierre et moi, jeunes fiancés en 1967, sur la plage la Concha à San Sebastian, en Espagne, rêvé d'avoir une famille d'au moins six enfants.
Lors des noces de Pierre Jr., notre premier fils, en 2000, au Pays basque français, nous sommes tous allés du côté espagnol, sur la magnifique plage de la Concha, pour revisiter notre banc de fiançailles, mais il n'était plus là. Tout a été changé, rénové. Seuls le sable et la mer étaient comme jadis fidèles, et gardaient jalousement les secrets de nos beaux jours.
Né en 1974, Nick restera finalement troisième de quatre enfants, mais si on ajoute mes deux fausses couches, cela fait effectivement six grossesses.
[p. 18]Au début de ma grossesse, tout s'est bien passé. Vers la fin, dès le septième mois, j'ai commencé à me gratter jour et nuit, jusqu'au sang. J'avais déjà connu cette infection lors de ma première grossesse et ce sera aussi le cas pour la quatrième. Le prurit, un trouble de fonctionnement des nerfs cutanés provoquant des démangeaisons, s'est emparé de toute ma peau : le ventre, les bras, les jambes et les extrémités. Les médecins, n'ayant pas trouvé la cause, ne réussissaient pas à me soulager. Au bout d'un mois et demi, une hospitalisation était nécessaire. Pendant mon séjour à l'hôpital, Nick s'est annoncé et c'est lui qui m'a instantanément délivrée de cette souffrance. Après l'accouchement, je n'avais plus aucun symptôme. Mais, malheureusement, Nick est né trois semaines avant terme et il est resté pour toujours en manque, comme nostalgique de ce séjour écourté dans le ventre de sa mère, dont il a été séparé trop tôt.
Au moment où je devais quitter le département de maternité, le médecin est venu me dire que Nick semblait être en bonne santé. Il y avait quelque chose d'hésitant dans sa voix, ce qui n'était pas tout à fait rassurant. Mais mon enfant était beau, n'avait pas de handicap physique apparent et je suis rentrée heureuse à la maison.
Très tôt, en le voyant grandir, je me suis aperçue qu'il ne faisait pas les progrès attendus selon son âge : il était plus lent, marchait de travers, avait le regard fuyant et ne se laissait pas cajoler. Il montrait des limites dans la socialisation et du retard dans le langage. Son premier mot, « maman », a été [p. 19]prononcé vers l'âge de deux ans et « papa » l'a été beaucoup plus tard. Toutefois, vers l'âge de trois ans, il va rapidement se rattraper et dépasser le niveau du langage de sa soeur et de son frère lorsqu'ils avaient le même âge. Malgré son riche vocabulaire, sa faculté de communiquer avec autrui n'a pas progressé. Entre autres, il fait l'inversion pronominale et dit « il » à la place de «je ». Nick est cependant entièrement absorbé par des constructions de Lego. J'étais en admiration devant tous ses multiples assemblages de cubes et de formes, sans me douter de rien. C'était son passe-temps favori. Je l'imaginais déjà architecte ou ingénieur.
Nous ne nous sommes pas rendu compte à quel point Nick était sensible aux bruits, à la lumière, aux odeurs et aux touchers neurosensoriels. Sa toilette représentait une corvée particulièrement pénible. Dans la douche, il piquait des crises épouvantables. Il ne fallait surtout pas laisser couler le jet d'eau sur sa tête. C'était une grande terreur pour lui, sans que nous sachions pourquoi. Habituellement, les enfants aiment jouer dans l'eau. Or, pour Nick, c'était une véritable torture. Aussi, le brossage des dents était une expérience très traumatisante pour lui. Nous étions, à ce moment-là, confrontés à des comportements incompréhensibles, nouveaux et différents pour nous. Nous nous demandions quoi faire, comment agir, comment l'apprivoiser, comment l'aider à vaincre ses peurs et ses angoisses. Notre patience a souvent été mise à rude épreuve. Nous étions complètement démunis par rapport à [p. 20]un tel défi et, mutuellement, nous nous sommes consolés en nous disant qu'avec le temps, tout allait s'arranger.
L'acquisition la plus difficile pour mon fils a été celle de la propreté. Je vous épargne les détails. Elle s'est améliorée, mais elle n'est toujours pas totalement acquise. C'est là que notre ignorance de son syndrome nous a joué de vilains tours en laissant des conséquences irréparables.
Ce n'était que le début d'une odyssée tortueuse, imprévisible et difficile à vivre au quotidien.
Nous parlions le croate à la maison, mais cela n'a pas empêché nos deux aînés de s'inscrire à la maternelle en français. Nick, plus renfermé, moins sociable, a eu besoin de passer par une classe d'accueil. L'institutrice a vite remarqué ses problèmes de comportement. Ne sachant pas quoi faire, elle le punissait ou le renvoyait à la maison. Il était évident que Nick n'était pas à l'aise dans le groupe. On lui a demandé l'impossible. L'école a brisé sa routine et ses habitudes quotidiennes. Le changement d'environnement et le fait de s'habituer à fonctionner en groupe, avec d'autres enfants, l'ont perturbé. Nous sommes alors entrés, sans le savoir, dans un long tunnel qui ne s'est ouvert à un peu plus de lumière que trente années plus tard, lorsque nous avons reçu le diagnostic d'autisme.