Comprendre Medjugorje : Regard historique et théologique — Entretien avec le théologien Arnaud Dumouch
Daria Klanac, Comprendre Medjugorje : Regard historique et théologique, avec la collaboration du théologien Arnaud Dumouch, Informativni centar Mir, Medjugorje, en coédition avec les Éditions Sakramento, Paris, 2012, 2e éd. (1re éd. 2008, ISBN 978-2-915380-19-4 & 978-9958-36017-6), entretien avec le théologien Arnaud Dumouch, pages 147 à 150.
English Translation : More on the theological problems
Daria Klanac : L’étude de ces questions serait donc importante ?
Arnaud Dumouch : Il faut comprendre que le discernement doit porter dans un premier temps sur les trois critères canoniques centraux:
– La conformité au dogme.
– Les fruits spirituels.
– Les miracles authentiques et dépassant les lois de la nature.
Mais l’importance du premier de ces trois critères est évidente. Dieu ne saurait enseigner une hérésie. De plus, ce critère est pratique aux yeux des théologiens car il permet d’élaguer et de rejeter a priori certaines fausses apparitions. [p. 148]Je me souviens d’un exemple récent. Juste avant la mort du pape Jean-Paul II, un certain nombre d’apparitions et de mystiques se mirent à annoncer que le pape Jean-Paul II allait être remplacé après sa mort par un pape « qui ne serait pas de Dieu » et serait élu à sa place par les cardinaux. Une telle annonce était absolument opposée à la foi. Un pape légitimement élu selon les règles canoniques reçoit, de par sa fonction même, et indépendamment de sa sainteté personnelle, les charismes d’infaillibilité doctrinale et les grâces de pasteur qui furent promises par Jésus. Ce critère m’avait permis de dire avec certitude que ces apparitions et ces mystiques ne pouvaient venir de Dieu. Beaucoup ne crurent pas, mais durent ensuite rendre les armes devant le fait de l’élection de Benoît XVI, cet ami et collaborateur fidèle de Jean-Paul II.
Ce critère théologique est si important que l’argument le plus fort en opposition de la part de l’évêque porte sur l’orthodoxie de certains enseignements de la Vierge: « Toutes les religions sont égales. » Encore faut-il étudier cette phrase dans son contexte et sans forcer son sens.
D. Klanac : Le 29 juin 1981, le directeur de la clinique de santé de Čitluk a demandé à la doctoresse Darinka Glamuzina d’aller à la colline pour observer le comportement des enfants. Jeune médecin, la doctoresse Glamuzina veut tester les enfants. Elle pose des questions et demande de pouvoir toucher la Vierge.
« Ma Gospa, est-ce que celle-ci peut vous toucher ? » – « Il y a toujours eu des Judas incrédules, qu’elle approche. »
J’ai rencontré la doctoresse Glamuzina à plusieurs reprises. Elle m’a dit: « Bien de gens ont été choqués de cette réponse, mais pas moi. La Vierge s’est adressée à moi et je l’ai bien compris. En ce moment-là, j’ai été incrédule et traître. Les paroles de la Vierge m’ont profondément touchée. Je l’en remercie, car elles ont éveillé en moi un cheminement dans la foi. »
Quelle est donc la difficulté théologique dans cette réponse ?
[p. 149]A. Dumouch : Il n’y a pas de difficulté théologique, d’autant plus que c’est une réponse pratique en fonction des pensées d’une personne particulière. Si cette réponse vise la seule doctoresse Glamuzina et si celle-ci reconnaît que son attitude intérieure était réellement, à ce moment-là, la ruse et la traîtrise, alors cette parole est plutôt bon signe: elle semble indiquer une lecture directe venant de l’apparition des pensées du médecin.
Je pense que ceux qui objectent en disant: « Parole trop dure pour la Vierge ! » ont tort. L’amour doit parfois dire la vérité sans fioritures. Jésus a des paroles beaucoup plus dures dans les évangiles (Mt 23, 13): « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui fermez aux hommes le Royaume des Cieux ! Vous n’entrez certes pas vous-mêmes, et vous ne laissez même pas entrer ceux qui le voudraient. » Et c’est bien Jésus qui parle. Dans le cas présent, la doctoresse Glamuzina a reçu de cette parole une grâce salutaire. C’est plutôt bon signe, donc.
D. Klanac : Elle a posé une autre question pour la Vierge.[32] « Comment réconcilier les gens entre eux, qu’ils soient de la même religion ou d’une autre ? » Gospa a répondu: « Il n’y a qu’une foi et qu’un Dieu. Il n’y a qu’un seul Esprit et une seule foi. »
Quelle est la différence entre « foi » dans ce message et « religions » dans celui que nous avons déjà traité ?
A. Dumouch : Ici, (et pour que cela trouve un sens conforme à la doctrine catholique) la foi signifie cette forme de droiture du cœur qui plaît à Dieu et qui attire l’Esprit Saint dans une personne. Cette présence de Dieu dans une âme droite (quelle que soit sa religion) n’est pas la charité théologale, mais plutôt l’effet d’une simple motion divine, dirait saint Thomas d’Aquin (Ia-IIae Question 109). Mais elle fait que la personne reconnaît [p. 150]la présence du vrai Dieu, comme d’instinct, partout où elle se trouve, donc dans ce qui est bon, vrai, beau.
On a quelques exemples du sens particulier de ce mot « foi » dans le Nouveau Testament. Jésus dit, par exemple, à un homme qui ne partage pas la foi juive (un centurion romain, Mt 8, 10): « Entendant cela, Jésus fut dans l’admiration et dit à ceux qui le suivaient: “En vérité, je vous le dis, chez personne je n’ai trouvé une telle foi en Israël.” »
Au contraire, Il reproche aux Juifs, pourtant adeptes de la vraie foi de l’époque, de ne pas avoir cette « foi intérieure » qui leur aurait fait le reconnaître (Jn 8, 39): « Ils lui répondirent: “Notre père, c’est Abraham.” Jésus leur dit: “Si vous étiez enfants d’Abraham, vous feriez les œuvres d’Abraham.” »
La religion signifie ici plutôt un système d’organisation du culte de Dieu.
Donc, si on analyse théologiquement la réponse, voilà ce que cela donnerait:
1) Les systèmes cultuels et théologiques sont divers et donc forcément divisés.
2) Mais, un homme de foi, lorsqu’il se présente dans n’importe quelle religion et tel que l’entend Jésus dans les Évangiles, reconnaît aussitôt, comme avec un radar intérieur, la présence du vrai Dieu n’importe où. Du coup, la paix se fait, même entre hommes n’appartenant pas à la même religion. Donc, ce qui est dit ici a un sens très évangélique: « Les vrais hommes de Dieu ont cette foi, quelle que soit leur religion, qui fait qu’ils se reconnaissent et s’entendent. »
32. Interrogatoire d’Ivanka dans la matinée du 30 juin 1981, Aux sources de Medjugorje, p. 137. [↩]